L’utilisateur est-il responsable du bon usage des outils d’intelligence artificielle ?
Qu’est-ce que la propriété intellectuelle ?
Le droit de la propriété intellectuelle englobe un ensemble de biens dits « originaux », mais nous simplifierons sa définition en nous focalisant sur la propriété artistique et littéraire : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » (article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle).
L’intelligence artificielle vient complexifier cette définition en apparence relativement simple. En effet, en utilisant des milliers de sources, l’originalité apportée par chaque auteur est diluée dans la masse (RYDGE Conseil, 2024). Ainsi, l’IA ne peut plus citer ses sources et il est difficile d’attribuer un propriétaire au contenu généré. Les outputs posent donc des questions juridiques délicates, mais ce qui fera aujourd’hui l’objet de notre réflexion, ce sont les inputs : comment sont-ils protégés ? Quelle utilisation en fait l’IA ? Que deviennent les droits intellectuels de ces données ?
Les conditions d’utilisation des intelligences artificielles
Les conditions d’utilisation, quésaco ? Mais si, vous savez, c’est comme les petites lignes à la fin des contrats que personne ne lit … mais qui pourraient coûter très cher …
La plupart des sociétés fournissant un service utilisant une IA précisent, dans leurs conditions générales (CG), que l'utilisateur est responsable du contenu soumis. Par exemple, nous pouvons lire dans les CG de ChatGPT 4 : "Les données d'entrée et les données de sortie sont collectivement appelées "contenu". Entre les parties et dans la mesure où la loi applicable le permet, vous êtes propriétaire de toutes les entrées." L’utilisateur ne peut donc pas proposer n’importe quel contenu à une IA. Il ne peut ainsi pas soumettre un texte protégé par des droits d’auteur notamment.
La responsabilisation des utilisateurs
La responsabilité du contenu utilisé comme input semble donc reposer sur les utilisateurs. Cependant, à l’heure actuelle, ce sont principalement les sociétés détentrices de services d’IA qui sont visées par les plaintes pour violations des droits d’auteurs, comme Meta, OpenAI ou encore Anthropic, sans être exhaustif. Il n’est en revanche pas exclu que cette tendance évolue vers une responsabilisation des utilisateurs. Il devient ainsi impératif de vulgariser les implications des conditions d’utilisation de tels outils afin d’en favoriser un usage raisonné.
Vers une sensibilisation pour le bon usage des IA
Des professeurs inventifs face à l’essor de l’IA …
Comme nous avons pu le voir dans un précédent article, une interdiction totale de l’IA dans l’enseignement ne semble plus pertinente. Il faut alors chercher de nouvelles initiatives pédagogiques visant à sensibiliser les étudiants à leur bon usage. Certains professeurs, pleins de bonnes intentions, font preuve d’imagination afin de proposer des exercices éducatifs à leurs élèves, les amenant à porter un regard critique sur le contenu généré par IA.
La méthode la plus courante consiste à amener l’élève à comparer les attentes d’un exercice avec le rendu proposé par l’IA afin de constater les différences et les limites. Si cela a pour objectif d’amener à un usage raisonné de l’IA, elle n’est cependant pas adaptée à tout type d’exercice, et peut même s’avérer critiquable d’un point de vue de la propriété intellectuelle.
… mais des applications parfois maladroites
Cette méthode, en plein essor, et bien qu’elle puisse s’avérer efficace, est parfois appliquée à des formes d’exercices ne s’y prêtant pas.
Prenons l’exemple d’un professeur de français. Ce dernier propose à ses élèves un commentaire de texte, et souhaite montrer à ses élèves que l’IA peut inventer du contenu qui s’avère inexact. Il leur propose donc dans un premier temps un devoir sur table pour commenter le texte sélectionné, puis leur demande, sous la forme d’un devoir maison, de soumettre le sujet (et le texte étudié !) à une IA afin de comparer leurs analyses. En procédant ainsi, le professeur incite ses élèves à donner à l'IA un contenu qui ne leur appartient pas, menaçant par la même occasion les droits de l’auteur du texte, et enfreignant les conditions générales de la société détentrice de l’IA.
Cela n’est qu’un exemple d’application maladroite de cette méthode et, bien que la bonne volonté des enseignants ne soit pas à remettre en cause, il semble incontournable, et urgent, d’élaborer des guides pédagogiques à destination des enseignants afin que ces derniers soient munis des outils nécessaires pour sensibiliser les élèves en évitant de tels écueils.
Conseils pratiques pour les enseignants
Cette partie ne vise pas à constituer un guide pédagogique comme conseillé plus haut, tache que nous laisserons aux experts en pédagogie et en droit du numérique, mais à formuler quelques recommandations générales si vous souhaitez dès maintenant proposer un exercice utilisant une IA à vos élèves.
Tout d’abord, avant de soumettre du contenu à une IA, vérifiez que ce dernier n’est pas un matériel protégé par des droits d’auteur. Si vous êtes l’auteur d’un exercice, vous pouvez par exemple le proposer à vos élèves, puis comparer la correction avec celle proposée par l’IA.
Si nous reprenons l’exemple du professeur de français, ce dernier aurait par exemple pu utiliser un exercice de conjugaison ou de grammaire. En littérature, vous pouvez proposer un contrôle de lecture à partir d’une fiche proposée par une IA en demandant aux élèves de relever les éléments qui sont justes et ceux qui ont été inventés (fausses citations, évènements qui n’ont jamais existé, etc.). En fonction de la matière enseignée, les initiatives peuvent varier et l’imagination est de mise !
Quels sont les risques pour les auteurs ?
Une mobilisation des auteurs et des associations face à des pratiques peu éthiques
Ces réflexions nous amènent à nous questionner sur les sources ayant permis d’entrainer les intelligences artificielles. L’IA générative est en effet alimentée par des modèles de machine learning analysant en permanence des milliers de données. Or, des questions d’éthique ont récemment été soulevées quant à l’origine de ces données. Nous pouvons notamment citer la polémique au sujet de Meta qui aurait utilisé des ouvrages piratés sur la bibliothèque pirate LibGen, mise en lumière par la justice américaine lors d’un procès pour violation de droits d’auteur (Matthieu Eugène, 2025). Afin de contourner le prix élevé des licences et la lenteur des systèmes légaux permettant d’avoir accès à un contenu scientifiquement récent et pertinent, Meta aurait utilisé le protocole BitTorrent (contraires aux lois sur le copyright) afin de bénéficier de données en masse dans des délais records, au détriment de la légalité … et de la propriété intellectuelle.
Un manque de cadrage au niveau européen
Le contenu soumis à une IA sert à son apprentissage. Cela pose la question du droit de reproduction des œuvres de l’esprit, aujourd’hui reproduites maintes et maintes fois en ligne, et cela sans autorisation des titulaires de droits. Il s’avère difficile pour un auteur de savoir si son œuvre a été absorbée par une IA et de faire valoir ses droits. Cela a été rendu possible par l’article 4 de la Directive 2019/790 du 17 avril 2019 qui a fixé une exception de « text and data mining » suspendant les droits d’auteur en vue d’un traitement algorithmique, en émettant une seule réserve : que l’auteur ou le détenteur des droits d’auteur n’ait pas émis d’objection (Dreyfus, 2023).
Au niveau européen, plusieurs initiatives ont été mises en place afin d’encadrer le développement de l’IA. Par exemple, l’IA Act est venue assurer la sécurité des utilisateurs ainsi que le respect des droits et libertés fondamentaux. La Convention-cadre sur l'intelligence artificielle et les droits de l'homme, la démocratie et l'État de droit du 17 mai 2024 a établi un cadre juridique afin que le développement de l’IA respecte les normes juridiques du Conseil de l'Europe. En revanche, aucun de ces deux dispositifs ne protège la propriété intellectuelle (RYDGE Conseil, 2024).
Je suis étudiant, quels risques si je fais corriger mon devoir par une IA ?
En soumettant un texte rédigé par vos soins à une IA, vous mettez en péril vos droits sur ces écrits. Votre texte alimentera en effet l’IA qui pourra se servir de votre réflexion et la réutiliser dans d’autres outputs, vous rendant difficilement identifiable comme l’auteur d’origine de l’idée réutilisée. Vous pourriez ainsi être accusé de plagiat sur un contenu que vous avez vous-même produit … Pour bon nombre d’outils d’intelligence artificielle, vous perdrez ainsi certains droits sur vos écrits, ce qui pourrait poser problème dans le cadre d’une publication, par exemple si vous souhaitez mettre votre mémoire en ligne ou commercialiser votre écrit. Il est donc recommandé de consulter les politiques de confidentialité des outils choisis. De la même manière, les corrections apportées par l’IA se basent sur les données d’autres auteurs et pourraient engendrer un risque de plagiat involontaire.
Si vous souhaitez faire relire votre devoir avant de le soumettre à une notation, nous vous recommandons donc d’opter pour une relecture manuelle : n’hésitez pas à solliciter vos proches ou encore les tuteurs-rédacteurs de MyStudies pour vous accompagner !
Sources
Dreyfus (17 octobre 2023). Droit d’auteur et IA génératives. https://www.dreyfus.fr/2023/10/17/droit-dauteur-et-ia-generatives/#:~:text=La%20protection%20des%20contenus%20moulin%C3%A9s%20par%20l'IA%20g%C3%A9n%C3%A9rative%20en,r%C3%A9alis%C3%A9es%20sans%20autorisation%20des%20titulaires.
Matthieu Eugène (21 mars 2025). Meta aurait entraîné son IA sur des millions d’ouvrages piratés : êtes-vous concerné ? BDM. https://www.blogdumoderateur.com/meta-entraine-ia-millions-ouvrages-pirates/
RYDGE Conseil (6 décembre 2024). Intelligence artificielle, droit d’auteur et propriété intellectuelle : on en est où ? https://www.rydge.fr/articles-analyses/ia-droit-auteur-propriete-intellectuelle#:~:text=Par%20cons%C3%A9quent%2C%20en%20l'%C3%A9tat,a%20pas%20de%20personnalit%C3%A9%20juridique