Introduction

À la veille du quatrième anniversaire de la mort tragique de sa fille Léopoldine en 1843, le poète romantique Victor Hugo exprime sa peine dans un poème poignant intitulé “Demain dès l’aube”, publié dans un recueil dédié à Léopoldine et publié en 1853, les Contemplations. Ce poème, composé de trois strophes en alexandrin, adopte une tonalité élégiaque pour décrire le pèlerinage du poète sur la tombe de sa fille. En quoi vie et mort se trouvent-elles entremêlées dans cet hommage à un être cher ?

Cheminement du poète vers un mystérieux rendez-vous

La première strophe décrit le cheminement du poète vers un mystérieux rendez-vous avec un être aimé. Le poème s’ouvre par une triple évocation du cadre spatiotemporaire à travers un rythme ternaire : “Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne”. L’usage du futur crée un effet d’attente, mais aussi de familiarité : le poète sait déjà ce qu’il va se passer et le vit de manière forte dans le moment présent. Il s’adresse directement à la personne aimée en lui disant “tu”, ce qui introduit une certaine familiarité, et un dialogue. La première strophe est marquée par des verbes de mouvement et de déplacement : “je partirai”, “j’irai” répété deux fois. Cela crée un contraste avec la posture de la personne aimée, qui se trouve dans le statique et l’immobilité, la passivité : “tu m’attends”. C’est le poète qui fait l’action d’aller vers la personne aimée. L’évocation de l’aube, qui est le premier moment de la journée, est annonciatrice du début de ce voyage qui va durer jusqu’au soir. La strophe se termine par l’expression d’un impératif, d’un besoin irrépressible : “Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps”. Ce vers peut nous rappeler un topos de la poésie lyrique amoureuse, mais le caractère plus sombre de la strophe suivante nous fait déjà penser à quelque chose de plus profond.


Isolation, tristesse et repli sur soi

Dans la deuxième strophe, le poète semble en effet de plus en plus isolé et replié sur lui-même, à mesure qu’il se dirige vers la rencontre avec son interlocuteur. Il mobilise le champ lexical des sensations : “yeux”, “voir”, “bruit”, cependant ces références sont précédées des prépositions “rien” et “aucun” qui expriment la négation. Le poète se montre ainsi insensible et aveugle à ce qui l’entoure, comme l’exprime le vers “Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées”. On retrouve cette idée dans le septième vers, “Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées”, qui exprime la privation, la solitude, mais aussi un certain poids qui accable le poète. On comprend déjà que le cheminement du poète est marqué par la tristesse, ce qui est renforcé par le huitième vers : “Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit”. L’adjectif “triste” est mis en évidence par l’enjambement qui le place en début de vers. Le rythme saccadé des vers 7 et 8 traduit aussi l’accablement du poète. L’analogie entre jour et nuit renforce cette démonstration de l’indifférence du poète face au monde extérieur, et un état de confusion temporelle qui montre sa souffrance.


Dénouement : rendez-vous avec sa fille décédée

La dernière strophe du poème joue le rôle de dénouement, et nous apprend que l’être aimé vers lequel se dirige le poète est sa fille disparue dans un tragique accident. La nature joue ici un rôle paradoxal, utilisée tour à tour pour montrer l’indifférence du poète au monde extérieur, et pour rendre hommage à la personne disparue en convoquant l’idée d’immortalité. De manière encore plus frappante, le poète se montre ici complètement indifférent à la beauté de la nature environnante, incarnée par “l’or du soir qui tombe” et “les voiles au loin descendant vers Harfleur”. On observe ici un mouvement descendant du poème vers la nuit et l’obscurité, ce qui évoque aussi la mort. On comprend que c’est avec la mort que le poète a rendez-vous. En effet, le point d’arrivée du cheminement du poète est la tombe de sa fille : “quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe”. Cependant, le poète parvient à transcender la mort grâce à la poésie qui fait de Léopoldine une interlocutrice vivante à travers le dialogue entre le “je” et le “tu”. De plus, l’évocation du houx éternellement vert contribue à ce sentiment d’immortalité, ce qui est renforcé par la description de la “bruyère en fleur” qui termine le poème.


Conclusion

Pour conclure, Victor Hugo exprime à travers ce poème le pouvoir de la poésie, qui lui permet d’immortaliser le souvenir d’une personne disparue à travers ses sentiments et ses émotions lorsqu’il se souvient d’elle et lui rend hommage en déposant des fleurs sur sa tombe. En retraçant son voyage vers la tombe de Léopoldine, il réalise une forme de catharsis de sa douleur en sublimant ses sentiments et en rendant hommage à sa fille.