Saisi de cette demande, le Président du tribunal de grande instance semble rejeter les prétentions de la demanderesse, puisqu'elle formera appel de la décision rendue auprès de la Cour d'appel de Bastia. Dans un arrêt du 25 juin 2008, les juges du fonds rejettent à nouveau les prétentions de la demanderesse. Cette dernière se pourvoit en cassation dont l'arrêt étudié en est le résultat.
Au soutien de sa demande de rectification, la demanderesse prouve l'usage du nom maternel de 1997 à 2007 par la production de diverses pièces étayées, relatives à sa scolarité, ses activités culturelles, sa mutuelle, sa banque, etc. Toutefois, la cour d'appel considère que l'ensemble des preuves fournies par la requérante ne suffit pas à caractériser une possession suffisamment longue du nom maternel de nature à justifier le changement de nom patronymique.
Saisie du droit et non des faits, la Cour de cassation est confrontée à un choix : doit-elle contrôler la motivation des juges du fonds, ou au contraire décider que s'agissant de purs faits, ils disposent d'une appréciation dite « souveraine », ne relevant pas de son office ?
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la demanderesse, en décidant que les juges du fonds ont, en la matière, une appréciation souveraine, et donc qu'elle ne peut, en tant que juge du droit, statuer selon des faits.
Il conviendra donc d'évoquer dans un premier temps le rappel par la Haute cour de la possibilité d'acquérir le nom par effet de la possession (I) ; toutefois, l'ordre public commande de restreindre fortement cette possibilité, afin de la rendre exceptionnelle (II).
I/ La réaffirmation de l'acquisition du nom par la possession
Par l'arrêt étudié, la Haute cour confirme la possibilité d'acquérir le nom patronymique par l'effet de la possession. Néanmoins, la possession doit revêtir certains critères (A), dont l'appréciation appartient à la souveraineté des juges du fonds (B).
A/ Les critères nécessaires de la possession
La loi, précisément le Code civil, ne comporte aucune indication quant aux éventuels effets de la possession du nom. Il revenait donc à la jurisprudence d'éventuellement consacrer les effets de la possession à l'égard de l'acquisition du nom, et d'en fixer le régime juridique. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu que « la possession prolongée d'un nom est propre à conférer à celui qui le porte le droit à ce nom » (Civ.1, 17 décembre 2008, déjà Civ.1, 15 mars 1988). Il est donc possible d'acquérir le nom, par possession « prolongée ». Toutefois, mis à part ce critère temporel, la Haute cour n'a jamais eu l'opportunité de se prononcer sur d'éventuels critères complémentaires. L'arrêt étudié vient compléter cette absence. La loi ne régissant ni la durée, ni les effets d'une possession du nom, la Cour de cassation ne saurait être compétente. En effet, étant juge du droit et non du fait, la Haute cour ne peut pas apprécier un pur élément de fait, et pour cela en tirer diverses méthodes de caractérisation pour que cet élément de fait produise des effets de droit. Ainsi, il revient aux juges du fonds de se prononcer sur l'appréciation de la possession, pour qu'elle fasse effet. Néanmoins, la Cour suprême ne reste pas muette. En effet, elle posera en principe que les juges du fonds doivent apprécier tant la loyauté de la possession, que ses effets pour déterminer si elle peut conduire à l'acquisition du nom. De fait, la Cour de cassation valide l'appréciation des juges relative à la durée de la possession, globalement à la justification « loyale » de l'usage du nom. Il convient dorénavant de constater que la Cour de cassation laisse l'appréciation de la possession aux seuls juges du fonds, et qu'elle n'intervient donc (presque) pas.
B/ La souveraineté des juges du fonds dans l'appréciation de la possession
L'arrêt étudié précise que « la cour d'appel en a souverainement déduit que ces éléments étaient insuffisants pour établir une possession prolongée de nature à permettre l'acquisition du nom ».
Ainsi, les juges du fonds sont donc souverains dans l'appréciation de la possession. D'une part, cela signifie que la caractérisation, ou non, de l'acquisition du nom par l'effet de la possession échappe au contrôle de la Cour de cassation. En effet, elle ne peut appliquer qu'un contrôle restreint, et ne peut pas se prononcer sur le fonds. Elle peut donc seulement annuler un arrêt des juges du fonds pour défaut de base légale, ou manque de motivation si lesdits juges ne justifient pas suffisamment par des éléments de fait leur position. D'autre part, on peut affirmer qu'en la matière, la sécurité juridique est en danger. En effet, les juges du fonds étant souverains, ils sont libres d'utiliser n'importe quel critère, dans le silence de la loi. Dès lors, dans une situation si l'ensemble des éléments fournis pourraient suffir à l'acquisition du nom, dans une autre elle ne pourrait pas, en fonction du tribunal saisi, ou du degré de juridiction. Il est a fortiori très compliqué pour le justiciable d'apprécier la prévisibilité de sa requête, alors que parfois l'enjeu est très grand : il peut s'agir d'acquérir le nom pour le faire perdurer, par amour, etc. L'enjeu moral peut donc être gargantuesque et devrait nécessiter une certaine stabilité du droit, de la réponse judiciaire. Or, la souveraineté des juges du fonds primant sur l'absence de dispositions législatives, la prévisibilité de la décision est annihilée.
Après avoir étudié la réaffirmation par la Cour de cassation de la possibilité d'acquérir le nom patronymique par effet de la possession lorsqu'elle revête plusieurs caractéristiques, il convient toutefois de nuancer cette position théorique, puisque de facto, l'acquisition du nom par la possession reste rare.
II/ Le caractère exceptionnel de l'acquisition du nom par la possession
Le nom patronymique , s'il est d'usage privé, relève toutefois de l'ordre public. Ainsi, les principes d'immutabilité et d'indisponibilité du nom conduisent à rendre très mince les chances d'acquérir le nom par effet de la possession (A). Les juges du fonds sont également chargés de veiller à cette conciliation entre ordre public et intérêts privés, en appréciant sévèrement les critères de la possession (B).
A/ La conciliation habile entre ordre public et intérêts privés
Les juges du fonds font preuve, dans l'arrêt étudié, d'une certaine sévérité dans l'appréciation de la possession pour lui donner effet. Cette position se comprend au regard de deux principes régissant le nom patronymique. En effet, le nom n'est pas une « chose » comme une autre, pouvant être soumise au régime de droit commun de la possession. Le nom intéresse l'ordre public, puisqu'il se réfère à des grands principes et libertés : la dignité de la personne humaine, l'indisponibilité du corps humain notamment. Ainsi, l'ordre public est étroitement lié au nom patronymique. Le principe d'immutabilité signifie que le nom ne peut être modifié dans le temps, dès lors qu'il a été inscrit au registre de l'état civil. On peut par exemple citer la loi du 4 mars 2002 qui garantit l'immutabilité du nom de l'enfant, pour le protéger, dans son intérêt. Dès lors, l'immutabilité du nom patronymique est un principe matriciel en droit familial, et ne saurait être modifié sans règles. Le principe d'inaliénabilité du nom existe également : il ne peut donc être aliéné, c'est-à-dire que son titulaire ne peut en disposer librement pour identifier une autre personne physique. Enfin, il convient de citer le principe d'imprescriptibilité du nom, empêchant l'acquisition du nom par prescription.
Le nom patronymique est donc une institution protégée, car il intéresse l'ordre public. Toutefois, les intérêts privés commandent parfois qu'une personne puisse vouloir changer de nom, en acquérir un autre. Ces intérêts sont pris en compte, notamment par l'effet du mariage. Ainsi, l'époux ou épouse peut porter le nom de son conjoint, ou sa conjointe pendant le mariage, et même, si divorce il y a, après la rupture du mariage sous certaines conditions. De même, un nom patronymique peut être utilisé pour la dénomination d'une personne morale, d'une société. Les juges du fonds ont dans l'arrêt étudié bien pris en compte ces intérêts privés, en laissant la possibilité d'acquérir le nom par possession.
En définitive, les juges du fonds sont chargés d'établir un certain équilibre, et de concilier l'ordre public et les principes afférents, et les intérêts privés de chaque personne. Cette conciliation oblige les mêmes à se montrer sévères dans l'appréciation de la possession.
B/ La sévérité des juges du fonds dans l'appréciation de la possession
Les juges du fonds se montrent sévères dans l'appréciation de la possession du nom par la demanderesse. En effet, cette dernière rapporte des preuves d'une dizaine d'années de possession du nom, ainsi d'une possession que l'on pourrait caractériser de « suffisamment longue ». En outre, la possession ne semble pas déloyale : elle poursuit un but légitime, la reprise du nom maternel ; elle n'est pas non plus sans intérêt ni véracité, la demanderesse utilise bien le nom souhaité dans nombre de pièces d'identité, notamment sa propre carte nationale d'identité. Or, contre toute attente, les juges du fonds la déboutent de sa demande, et considèrent que la possession n'est pas suffisamment caractérisée, pour produire effet, raisonnement que validera la Cour de cassation à l'occasion de sa saisine.
Comme expliqué ci-avant, la sévérité des juges du fonds dans l'appréciation de la possession a ses raisons : la conciliation entre ordre public et intérêts privés. Toutefois, dans le cas d'espèce, elle peut sembler contestable à deux égards. D'une part, la durée de possession du nom par la requérante pouvait aisément être qualifiée de « suffisamment longue », et de « loyale ». En effet, comme décrit de facto, la demanderesse a justifié de près de 10 ans de possession loyale du nom patronymique de sa mère, et même d'une carte nationale d'identité avec le nom maternel. Ainsi, la préfecture a elle-même reconnu, par la délivrance de ladite carte, que Madame faisait usage constant du nom maternel. D'autre part, la requérante a porté le nom de l'époux de sa mère par « légitimation », en 1997, alors qu'elle est née en 1990, et a donc porté nécessairement, en l'absence de reconnaissance paternelle, le nom de sa mère pendant 7 ans. Or, le mécanisme de légitimation reposait sur la distinction entre enfant naturel, et enfant légitime, distinction supprimée par l'ordonnance du 4 juillet 2005. De façon subséquente, la légitimation a donc disparu également. On aurait pu penser que les juges du fonds, ou la Haute cour aurait pu prendre acte de cette réforme en ne reconnaissant pas l'effet de la légitimation, d'autant plus lorsque la demanderesse souhaite reprendre l'usage du nom maternel.
En définitive, les juges du fonds se montrent donc sévères dans l'appréciation du nom, sévérité qui peut s'avérer contestable dans le cas d'espèce. On peut également regretter la position de la Haute cour, qui aurait pu saisir l'opportunité de cette affaire pour mettre un terme définitif aux effets de la légitimation, sur le fondement du défaut de motivation.