Que ce soit pour les philosophes, les psychologues, et les principes sociaux, l’amour propre représente une réflexion délicate. Même si on le confond toujours avec ce qu’on appelle « amour de soi », les deux concepts sont totalement différents et possèdent chacun des traits distinctifs.  « Amour de soi et amour propre selon Rousseau » Philo52 L’amour propre a été étudié par quelques philosophes tels que Rousseau, des psychologues modernes, puis d’autres penseurs du moyen âge comme Thomas d’Aquin. Afin de mieux saisir donc la définition de l’amour propre, il est nécessaire discuter de ses sources, de ce qui le différencie de l’amour de soi, ainsi que des effets sur l’homme et la communauté.

La disparité entre les deux sentiments : « amour propre » et « amour de soi »

Selon la description du penseur Jean Jacques Rousseau, l’amour de soi consiste à une émotion spontanée, naturelle et fondamentalement humaine qui incite l’homme à prêter attention à sa préservation personnelle. D’après ce philosophe, cette émotion est générale et largement adoptée par tous les êtres humains, car elle est indispensable pour l’existence ou l’autoconservation. Dans son apparence originelle, l’amour de soi représente ainsi une tendance à la survie, non influencée par le jugement comparatif. Il motive un individu à explorer ce qui est essentiel à son épanouissement et à s’éloigner de ce qui pourrait le mettre en danger. Ce genre de sentiment, dans sa forme primitive, n’engendre pas de tensions interpersonnelles, car l’homme ne se compare pas à ses congénères ; il ne les considère même pas comme des êtres qui lui ressemblent.


Cependant, l’amour propre constitue un état émotionnel inhérent à la société, qui se déploie dans les relations sociales. C’est ce ressenti qui force l’être humain à se mesurer aux autres, à désirer l’acceptation sociale, et à soigner son personnage par rapport aux réactions ou opinions des autres. Le penseur Rousseau insiste sur le fait que cette émotion provoque l’orgueil, le désir, la convoitise et les vices sociaux qui en résultent. Elle est issue de la société, où les êtres humains se mettent à estimer leur valeur personnelle  à l’égard des autres. D’après Rousseau, elle est donc « subjective » (Mauroy H. (2014) «  L’amour-propre : une analyse théorique et historique » OpenEdition), vu qu’elle apparaît à cause de la différence et de la confrontation avec autrui. Ce sentiment consiste alors à une vanité ou une valorisation sociale de soi, qui mène à des contraintes et des litiges.

L’origine de « Amour propre » : de l’ensemble social à la personne 

L’amour propre provient de la dimension sociale et de ses critères. Dans la forme primitive, à l’exemple des espèces animales, l’homme ne se prête pas à une comparaison avec l’autre ; il se satisfait de ses besoins instantanés et de son sentiment de défense. Par contre, au fur et à mesure que la communauté se développe et que les êtres humains s’influencent réciproquement, l’amour propre se révèle comme une réaction à cette nouvelle structure de la société. C’est dans cette dernière que la personne se rend compte qu’elle n’est pas seule, qu’il y a des règles et des opinions extérieures qui définissent son rôle sur terre.

Jean Jacques Rousseau reproche donc cette tendance, il perçoit celle-ci comme le fondement de plusieurs problèmes sociaux. L’amour propre, relatif et excessif, amène à des concurrences, des confrontations d’orgueil ainsi qu’à la ruine à la coexistence naturelle. Plutôt que de trouver son épanouissement dans des interactions basiques et immédiates avec l’environnement ou ses semblables, l’homme se laisse entraîner dans une poursuite insatiable de valorisation et de prestige. Ce sentiment change donc l’espèce humaine en l’éveillant à des soucis insignifiants et le conduisant dans un cercle de rivalité et d’ego.

L’amour propre dans le milieu civilisateur et éducatif

Même si dans sa démesure, l’amour propre peut devenir dévastateur, il n’est pas forcément mauvais pour l’être humain. Il peut également exercer une influence exaltante et constructive, surtout dans le contexte pédagogique et pour le bien-être de soi. Les enseignants ainsi que les philosophes s’unissent sur l’idée qu’il est essentiel de gérer cette émotion, au lieu de la faire disparaître complètement. La gestion modérée de celle-ci peut motiver l’individu à donner le meilleur de soi, à la progression individuelle et à la quête d’approbation sociale légitime.

Toutefois, dans ses textes sur l’enseignement, le philosophe Rousseau conteste l’usage abusif de ce ressenti. D’après lui, il est risqué d’exploiter l’amour propre comme une ressource éducative surpuissante, car cela peut provoquer un comportement égoïste et vaniteux. En revanche, un amour propre sous contrôle pourrait être un moyen de motivation pour la discipline personnelle et la quête du respect de soi. 

En situation réelle, il est donc pertinent de maintenir un juste milieu (Buisson F. « Amour-propre » L’édition électronique). En effet, l’amour propre peut être considéré comme une force motrice dans le contexte de l’éducation ou de travail, car il encourage l’individu à progresser, à être apprécié et complimenté. Néanmoins, quand il se laisse dominer par une évaluation de position sociale, il peut immédiatement se convertir en une embûche, où l’homme n’est plus en état de se sentir comblé par soi-même et cherche continuellement à impressionner les autres.


Les impacts de l’amour propre sur les interactions interpersonnelles

L’amour propre affecte sérieusement nos liens sociaux. En réalité, une fois que la personne commence à se situer par rapport à ses semblables, elle ne perçoit plus la vie sociale en termes de relations amicales et de fraternité. Cependant, elle voit ces relations sous l’aspect de la concurrence. L’amour propre sème des ruptures, des classements et des désaccords. Les litiges, les convoitises et les compétitions sont fréquemment stimulés par ce besoin d’être vu comme étant au-dessus des autres.

En se caractérisant par une hyperconnexion et une contrainte sociale universelle, les communautés actuelles intensifient ces faits. L’amour propre est ainsi attisé par des conditions externes telles que la position sociale, l’allure extérieure ou le succès dans le milieu professionnel. Ces exigences se transforment en nouveaux critères de la confiance en soi, souvent aux dépens de l’équilibre mental et de la prospérité des êtres humains. À cet effet, l’amour propre, même s’il est important dans une civilisation, pourrait devenir un facteur de tourment quand les confrontations sociales franchissent les limites.

Dans le milieu social où les humains se comparent mutuellement de façon continue, l’amour propre engendre également le désir du prestige public. Ce phénomène est surtout perceptible dans le mode de vie actuel, où les plateformes sociales ont une influence majeure sur l’affirmation et l’estime de soi. Au lieu d’encourager les connexions humaines, ces comparaisons sur les réseaux sociaux provoquent constamment une agitation générale, où chaque individu tente de donner sens à son existence à travers le jugement social.