Dans ce contexte, la dimension locale a permis d’interroger très tôt l’intérêt d’une démocratie décentralisée et fortement ancrée dans les territoires. Or l’animation socioculturelle, développée progressivement à partir des années 1930 mais plus encore après- guerre pour répondre aux problématiques de marginalisation de certaines populations, fournit un certains nombre d’outils qui poursuivent eux aussi des objectifs d’agrégation des citoyens autour du débat public.
De ce fait, dans le but d’identifier les apports et les limites de l’animation socioculturelle en matière de démocratie participative, il conviendrait de s’interroger sur le rôle de l’animation culturelle dans la recomposition du concept de représentativité : dans quelle mesure l’animation socioculturelle permet-elle d’améliorer la représentativité des citoyens engagés dans l’élaboration des politiques publiques ? Pour ce faire, nous nous attacherons dans une première partie à traiter des apports de l’animation socioculturelle en matière de renforcement du sentiment d’appartenance à la République au sein des publics éloignés des centres de décisions politiques. Dans une deuxième partie, nous interrogerons plus spécifiquement les liens entre sentiment de représentation et tau de participation à l’élaboration des décisions. Enfin, une troisième partie sera consacrée à l’intérêt théorique de l’animation socioculturelle pour développer l’autonomie de ces personnes vis-à-vis des mécanismes décisionnels, au regard notamment de la relation gouvernants / gouvernés.

I. L’animation socioculturelle, pensée comme un moyen pour renforcer la légitimité de la démocratie représentative, se heurte à différents obstacles

1. La participation en démocratie, pierre angulaire de la légitimité des représentants dans un système politique de plus en plus décentralisé

Le concept de démocratie participative implique de définir les modalités et les formes de la participation des citoyens. Or si les années 1960-1970 ont permis d’observer un recul de la participation des citoyens aux élections, ce recul est également le signe d’un désinvestissement plus large des mécanismes de prise de décision de la part de certaines populations. Autrement dit, le seul taux de participation à une élection ne suffit pas à rendre compte de la vitalité des processus démocratiques, de sorte que certaines populations marginalisées se trouvent de plus en plus à l’écart des processus décisionnels. C’est notamment le cas des publics économiquement et socialement fragiles, mais également des populations immigrés et de leurs descendants, comme l’ont montré les enquêtes Insee réalisées dans les années 1980. Pourtant, dans une démocratie représentative (par opposition à directe), le degré de légitimité du pouvoir politique dépend en grande partie de la qualité de la représentation. A cet égard, les réformes de décentralisation initiées au début des années 1980 puis reprise lors de l’Acte II de 2003 ont poursuivi la volonté de rapprocher les centre de décisions des enjeux locaux, afin de revitaliser la démocratie, conformément au principe de subsidiarité promu par l’Union européenne.

2. Mais un déficit de légitimité des citoyens : construire la conscience /l’identité citoyenne grâce à l’animation socioculturelle

Cependant, cette prise de conscience s’est heurtée à une crise de légitimité exprimées par les citoyens moins investis : l’enjeu de l’association de l’ensemble des populations s’explique en grande partie par une mise à mal de la conscience citoyenne. Que celle-ci se soit progressivement érodée au fil des ans, ou bien qu’elle n’ait tout simplement pas été développée suffisamment par la troisième République, le désintérêt des certaines couches de la population française pour les processus communs de prise de décision est problématique pour la légitimité des pouvoirs locaux ou centraux.
C’est dans ce contexte que l’animation socioculturelle présente des intérêts non négligeables : la construction citoyenne en effet tient selon Cortéséro (2014) à un certains nombre d’habitudes acquises — idéalement — dès le plus jeune âge afin de développer une culture démocratique. Or dans les quartiers concernés par le recul de l’engagement citoyen, l’animation socioculturelle a fait figure de dernier lien social existant entre des citoyens démobilisés et des interlocuteurs susceptibles de diffuser une culture de la chose publique. Pensée dans le prolongement de l’Education populaire, l’animation socioculturelle constitue un entre-deux entre l’éducation entendue au sens du devoir de l’Etat de proposer une instruction publique gratuite et obligatoire, et un militantisme politique spontané et auto-organisé.

II. De la représentation à la participation, organiser l’appropriation des institutions par des citoyens représentatifs du corps social

1. A l’origine, une crise de la représentation plutôt qu’une crise de la démocratie ? Un contexte de défiance croissante des habitants à l’égard des pouvoirs publics

Toutefois, le développement de l’animation socioculturelle comme élément de réponse à l’éloignement de certains publics des prises ce décisions politique révèle en réalité une crise de la représentation institutionnelle, marqué notamment par une défiance croissante de certains publics à l’égard des pouvoirs publics. Cette tendance s’est particulièrement accéléré au sein des populations jeunes, reléguant la politique au rang d’activité lointaine, et non pas de devoir citoyen. De ce point de vue, utiliser les outils de l’animation socioculturelle pour sensibiliser les citoyens à la pertinence — et la légitimité — de leur engagement politique (même minimal) se justifie en raison de plusieurs spécificité de ce champ d’activités. D’une part, les animateurs sociaux constituent des ressources formées spécifiquement à maintenir un lien avec des publics marginalisés, notamment parmi les quartiers les moins favorisés. D’autre part, ces personnes sont le plus souvent employés par des structures publiques, bien que certaines aient une origine clairement associative (dans l’esprit et dans la structuration juridique). En revanche, ces intérêts comportent en eux-mêmes des désavantages non négligeables : les intervenants sociaux peuvent être perçus comme appartenant déjà à la sphère publique. Cette distinction souvent évoquée d’un « nous » versus « eux » montre de ce point de vue la fracture qui existe désormais entre les élus et les citoyens, particulièrement prégnante dans les quartiers populaires.

2. Des initiatives diverses pour favoriser le développement des citoyens comme parties prenantes des décisions publiques : l’exemple des centres sociaux, avec des limites liées à l’institutionnalisation de fait (financière et organisationnelle) d’outils fondés sur le principe de libre participation et de bénévolat.

Par conséquent, le maillage déjà en place au sein de l’animation socioculturelle semble à de nombreux égards constituer un potentiel de revivification des structures démocratiques locales et nationales. Qu’il s’agisse en effet des centres sociaux, de la variété des activités proposées aux adultes et aux plus jeunes, ou, plus généralement, des nouvelles initiatives visant à associer les citoyens aux projets, la démocratie participative semble pouvoir bénéficier de l’ensemble des actions visant à fédérer les individus en amont de la prise de décisions (bottom- up) plutôt qu’à les informer des délibérations entre élus (top to bottom). Toutefois, un paradoxe important vient ici contredire en partie la théorie : l’éducation populaire — et ses formes dérivées dont fait partie l’animation socioculturelle — conserve un héritage militant et associatif relativement fort, de sorte les que les animateurs sociaux et bénévoles mobilisés n’entendent pas nécessairement se soumettre à un programme d’éducation visant, paradoxalement, à faire adhérer des populations à une certaine vision de la démocratie.
En d’autres termes, il existe une contradiction dans les termes à souhaiter l’adhésion libre et volontaire d’individus à un système politique — même démocratique —, alors que ces mêmes personnes le jugent en partie illégitime ou trop éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. Sur ce point, les analyses Bresson ainsi que celles de Libois et al. (2009) sur les stratégies de promotion du régime républicain auprès de ceux qui en sont éloignés (ou considérés comme tels par les pouvoirs publics) permettent d’éclairer les dynamiques à l’oeuvre, et notamment les difficultés de légitimité que rencontrent les acteurs de l’animation socio-culturelle, et qu’ils dénoncent parfois eux-mêmes.

III. Viser l’autonomisation des citoyens dans la participation à l’élaboration des politiques publiques : vers une nouvelle culture de la relation gouvernant/gouverné ?

1. L’empowerment, une notion intéressante à condition de définir clairement les modalités de participation : l’exemple des réunions publiques locales dans le cas de la requalification urbaine d’un quartier classé QPV

C’est dans ce contexte que la notion d’empowerment semble permettre de renouveler la réflexion, en faisant le pari de l’autonomisation progressive des individus dans leur relation avec le politique. Le déficit de légitimité des individus vis-à-vis de la politique constitue un enjeu central du développement d’une démocratie réellement participative, dans la mesure où les gouvernés doivent idéalement se sentir légitimes — c’est-à-dire compétents, mais pas seulement — à intervenir dans le débat public, en refusant l’idée que celui-ci puisse être réservé à des individus explicitement qualifiés pour. Cette promotion d’une identité citoyenne défendue par Coréséro (2014) permet de mettre en évidence des logiques de refus de participation, notamment chez les plus jeunes, pour qui la politique est une affaire complexe, dans des logiques d’auto-censure qui les maintiennent éloignés des sphères décisionnelles, même lorsque celles-ci sont décentralisées.
Dans ce contexte, l’empowerment — parfois traduit par « encapacitation » en français — consiste à susciter une conscience citoyenne en la fondant sur un droit à participer au débat. Mais encore faut-il que ce dernier soit accessible : cet enjeu se vérifie notamment dans le développement d’outils explicitement participatifs (consultations publiques, réunions, débat public, ...), notamment au niveau local. Ainsi, dans le cas du quartier populaire dit des « Quatre-Chemins », situé à cheval sur les communes d’Aubervilliers et de Pantin, en Seine- Saint-Denis, les outils du débat publics ont constitué un aspect déterminant de la capacité des municipalités à susciter l’engagement des riverains dans l’élaboration d’un projet de requalification urbaine d’un quartier visé par les projets de l’ANRU1. Autrement dit, lorsque les décisions ne sont pas encore prises, et que les consultations débouchent sur des modifications sensibles du projet, le politique fait son retour et les habitants — même non francophones ou sceptiques sur la probité des personnels politiques — investissent pleinement les espaces de débats ainsi créés.

2. Des logiques d’animation renforcée par l’émergence de nouvelles problématiques (environnementales notamment) à l’échelle de la ville ? La question de l’étagement des structures représentatives.

Mais l’éloignement constaté dans la seconde moitié du XXème siècle et plus encore au début du XXIème siècle pourrait également tenir à une dévitalisation des centres de décisions : si les débats n’abritent pas de véritables enjeux décisionnels (en d’autres termes, s’ils servent à légitimiter une décision déjà prises par des autorités dites compétentes), dès lors l’adhésion risque d’être de courte durée. De ce point de vue, les analyses récentes conduites par Tozzi et Greffier (2015) concernant l’impact du concept d’écoquartier dans les logiques d’appropriation du débat public constituent des éléments en rupture avec les diagnostics précédents. En effet, les auteurs ont montré que l’écoquartier en tant qu’objet urbain et politique concentrait de très nombreux enjeux d’aménagements locaux concrets et de transformation de la qualité de vie des habitants.
Or cette pratique de démocratie à l’échelle locale peut déboucher sur l’établissement d’un dialogue entre représentants et représentés, avec comme horizon la possibilité d’une transformation sociale réelle. Ceci se vérifie tout particulièrement dans le cas de l’écoquartier car celui-ci se déploie comme une projet-processus, c’est-à-dire qu’il encourage la concertation et l’adoption de modes de vie collaboratifs, aussi bien en amont de la construction de l’écoquartier (co-construction du projet à partir des besoins des habitants, consultations publiques obligatoires et réglementées, ...) qu’en aval de son achèvement : jardins partagés, espaces communs dans l’habitat, infrastructures publiques, etc. Il conviendrait donc de voir ici que l’enjeu vécu comme réel et sensible (un projet inscrit dans un horizon temporel et géographiques réalistes et accessibles) mobilise davantage que des pratiques perçues comme ayant peu d’impact sur la vie quotidienne des individus (élection nationales, référendums, ...).

Conclusion

Au terme de cette réflexion, il apparaît donc que si l’animation socioculturelle concentre aujourd’hui une part substantielle des réflexions visant à permettre l’avènement effectif d’une démocratie pleinement participative, c’est parce qu’elle est perçue comme l’un des principaux outils du lien social entre institutions et individus éloignés des débats publics. Si son intérêt est démontré en matière d’animation d’une vie de quartier, ses apports à long terme en matière d’accroissement de la participation citoyenne semblent quant à eux moins évidents. Non seulement les animateurs eux-mêmes rechignent souvent à accomplir des tâches visant à assurer la promotion d’un système politique, mais en plus cette approche éducative ne résout rien de la question de l’autonomie et de la liber-détermination des individus. A cet égard, il semblerait que les progrès les plus significatifs puissent être attendus du côté du développement d’outils effectivement participatifs, adaptés aux modes de vies des publics, et surtout proposant un véritable enjeu politique, autrement de transformation concrète de la vie quotidienne des citoyens.