L’écoféminisme propose une approche pour comprendre comment diverses oppressions subies par certaines populations peuvent être perçues comme différentes facettes d’un même système de violence. Cette perspective écoféministe considère en effet que les violences exercées contre les femmes (exploitation économique, discriminations sexistes, etc.) et celles perpétrées sur l’environnement (surexploitation des ressources naturelles, dégradation des écosystèmes, etc.) relèvent d’un même type d’oppression.

L’aggravation des inégalités par le changement climatique

Les changements climatiques intensifient les inégalités sociales, affectant tout particulièrement les populations les plus vulnérables qui disposent souvent de moins de ressources pour y faire face. Les femmes, qui représentaient 60 % de la population mondiale vivant sous le seuil de pauvreté en 2021, subissent ces effets de manière disproportionnée. Plusieurs raisons expliquent cette surreprésentation féminine parmi les plus pauvres : les femmes ont en général moins de biens matériels, perçoivent des revenus moindres, épargnent moins, et sont souvent cantonnées à des emplois et secteurs sous-valorisés financièrement. De plus, elles assument une part excessive des tâches domestiques non rémunérées, ce qui limite encore leur participation économique.



Facteurs d’inégalité structurelle

Des systèmes d’héritage inégalitaires renforcent également cette situation : les femmes détiennent moins de patrimoine, notamment en matière de propriété foncière, et ont moins d’accès aux crédits et prêts financiers que les hommes. De plus, le changement climatique alourdit la charge de travail domestique non rémunéré. Dans les pays du Sud, par exemple, lors des sécheresses, les femmes doivent parcourir de plus grandes distances pour trouver de l'eau, ce qui expose leur santé et leur sécurité. Elles font aussi face à davantage de difficultés pour s’adapter aux impacts climatiques, qu’il s’agisse de mobilité, de logement, ou d’alimentation.

Les origines de l’écoféminisme

Dans les années 1970, le concept d’écoféminisme émerge pour analyser ces enjeux. Dans Le Féminisme ou la mort, la militante Françoise d’Eaubonne introduit pour la première fois en France ce terme, issu de la combinaison d’« écologie » et de « féminisme ». Ce mouvement s’appuie sur le parallèle entre la domination de la nature et celle des femmes dans le cadre patriarcal. Selon les écoféministes, l’oppression de l’environnement et celle des femmes sont analogues et peuvent être combattues conjointement.

L’essentialisme et les débats au sein du féminisme

L’essentialisme, ou l’association des femmes à la nature, est critiqué dans les théories féministes depuis longtemps. L’écoféminisme apparaît dans un contexte où le féminisme se concentre sur la libération des femmes du travail domestique et des tâches de reproduction, pour leur permettre d’accéder aux mêmes rôles productifs que les hommes. L’idée que les femmes seraient « naturellement » plus proches de la nature est souvent perçue comme une justification des divisions sexuées du travail, assignant aux femmes des tâches répétitives et dévalorisées, comme le soin des autres et le maintien du foyer.

Aux États-Unis, dans les années 1970-80, cette vision féministe s’inspire des analyses de Betty Friedan, qui, dans La Femme mystifiée, critique la propagande d’après-guerre incitant les femmes à rester au foyer. Ce discours encourageait les femmes à valoriser leur rôle de mère et d’épouse, tout en les écartant de la vie professionnelle, réservée aux hommes. Cette réappropriation de la « nature » par l’écoféminisme pouvait donc susciter la méfiance de certaines féministes, qui craignaient un retour à une vision traditionaliste des femmes. Cependant, l’écoféminisme ne cherche pas à restaurer ces rôles, mais à prolonger la critique féministe en dénonçant l’exploitation de la nature et des femmes comme relevant d’un même système de domination.



Une pluralité de visions écoféministes

De nos jours, divers mouvements écoféministes cherchent à repenser les systèmes sociaux et économiques pour mettre fin aux schémas d’exploitation de la nature et des minorités de genre. L’écoféminisme est un courant diversifié et se manifeste différemment selon les contextes et les individus qui le portent. Certains adoptent une perspective essentialiste, rapprochant femmes et nature, tandis que d’autres voient dans l’oppression de la nature et celle des femmes une construction sociale à déconstruire.

En 2019, Jeanne Burgart Goutal publie Ecoféminisme, théories et pratiques, un essai qui retrace son exploration des multiples facettes de l’écoféminisme. De l’Inde, où elle rencontre l’écoféministe Vandana Shiva, aux Cévennes, auprès des « sorcières modernes », elle montre la diversité de ce mouvement et met en lumière son caractère fondamentalement politique.



Conclusion

Dans une perspective écoféministe du développement durable, il s'agit de concevoir un modèle de développement qui s’affranchisse des cadres occidentaux et patriarcaux. Ce modèle inclurait une analyse sensible aux différences de genre dans toutes les activités et domaines, afin d’éviter de limiter le développement durable aux seules questions environnementales. Alors que les questions écologiques dominent les débats médiatiques et politiques, il devient pertinent de s’interroger sur la place de l’écoféminisme dans cette démarche. Ce courant propose une approche écologique distincte, se démarquant de deux tendances souvent présentes dans les mouvements écologistes : d’une part, l’écoféminisme refuse l’idéal scientiste qui, en cherchant à contrôler et modifier artificiellement la nature, conforte une domination masculine sur le vivant et les structures de pouvoir ; d’autre part, il rejette une vision restauratrice qui, en sacralisant la nature, tend à figer les relations sociales. L’écoféminisme ouvre ainsi la voie à une alternative radicale, véritablement innovante et pleine d’espoir pour les générations futures.

L'écoféminisme met en lumière cette double dépendance de l'économie vis-à-vis de la nature et du travail domestique. Les femmes, notamment dans les pays en développement où la séparation entre production et reproduction n'est pas aussi marquée qu’au Nord et où elles participent largement aux activités agricoles, se situent à des intersections stratégiques pour réconcilier ces deux sphères. Cette dualité se manifeste autant dans la nature biologique de la reproduction que dans l’interdépendance entre écologie et économie. On pourrait dire que les femmes, étant responsables du bien-être quotidien de leurs proches, sont souvent en première ligne des luttes environnementales.

Est-ce que ces engagements pourraient entraîner une essentialisation des femmes par leur lien avec la nature ? Ce n’est pas le cas : il s’agit plutôt d'explorer l’interdépendance entre le naturel et le social. En rendant visible cette dépendance masquée derrière l'illusion d'autonomie, l’écoféminisme, par ses multiples expressions pratiques, nous rappelle les racines communes de l'écologie et de l'économie, l’oïkos, qui signifie « foyer ». L’écoféminisme nous invite ainsi à considérer la Terre comme une demeure partagée, un jardin commun à préserver.


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